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Article paru dans les Cahiers du
Songe d'Icare n°3
James King, la force de faire de l'Art
Si James King est
d'origine anglaise, son goût pour l'art est sans frontières ; et son sens du
temps dépasse le seul présent. En découvrant sa peinture, on aborde de
plain-pied un champ qui refuse d'abdiquer les acquis hérités des cycles
longs de l'Histoire de l'art. Ce que l'homme, des siècles durant, a vu digne
de devenir référent mémoriel, James King se l'approprie dès lors qu'il y
voit une expression formelle et poétique puissante.
Car James King
croit en la puissance de l'art. Et sa manière de travailler exprimera
combien il est possible de s'affirmer par son biais.
Sans lyrisme
excessif, ce peintre éprouve l'épreuve de l'art comme un acte excluant tout
expédient, toute facilité; où il importe que créer soit le plus entier
possible, c'est-à-dire soit aussi peu corruptible que possible au regard du
temps. Soucieux d'éviter tout faux-semblant ou tout pis-aller, l'artiste
entend ici reprendre le processus pictural à sa base : lui qui veut
respecter les siècles ne pourra donner l'impression de prendre une geste en
marche ; il sera un pèlerin parcourant à sa façon tout le cycle de la
peinture que sa culture lui permet d'entrevoir.
Et sa culture passe
par les musées. Là, de toile en toile, des corps peints vivent, s'exhibent,
tiennent... King, royalement, les tutoie ; il connaît et éprouve leur force
paralysante, que maints nient ou fuient aujourd'hui. Il tient bon. Il sait
que l'art est difficile et lent à faire surgir. Il se lève donc de bonne
heure. Dès sa jeunesse, ses dons pour le dessin étant patents, il aura à se
méfier de sa facilité. Pour lui, comme si la virtuosité restait une part
trop longtemps maudite, il faudra que don et labeur luttent.
C'est là que le
travail à l'huile vient à point. L'huile séchant et se maîtrisant moins vite
que l'eau, l'artiste qui s'y fie dompte une médium au long cours qui,
simultanément, a fait ses preuves et en demande.
On se doutera que
James King, féru de technique, peaufine ses savoirs. Les années passant, on
voit sa facture gagner en fluidité, en luminosité ; et ses "progrès", qui
permettent de constater l'évolution de l'oeuvre de l'artiste, sont le biais
permettant de contrer son mal de vivre : s'il progresse, la crainte de
manquer de temps, constante chez lui, s'étiole. Un privilège de notre époque
sera celui de la longévité qui atténue l'urgence : là, vivre longtemps,
c'est éprouver le bonheur de peindre longtemps ; c'est pouvoir partir encore
et encore du dessin pour passer au cycle supérieur de la toile, ce support
privilégié sur lequel l'homme donne toute sa mesure. Car la toile possède
une gravité unique.
Si James King est
capable de dessiner en faisant "des gags" - telle une Arche de Noë coulant
en plein Déluge -, il gage que l'huile exige plus. Rire et approfondir.
Déluge, mort, renaissance... Le grand sujet, il ne va pas s'empêtrer à le
chercher : les musées, au premier chef desquels le Louvre, lui offrent un
répertoire thématique et formel où puiser sans cesse. Copiant comme un
copiste, détournant comme un artiste, l'oeil et l'esprit sont à la fête :
telle "Déposition" devient, sous la brosse de King, un corps sans défense
qu'on vole, la survivance qu'on exhibe, l'inquisition qu'on abolit. L'homme,
pris comme sujet de peinture, survit à sa propre mort, vit sans le filtre de
l'académisme. De la contrainte à la liberté... L'originalité ici dérive d'un
sujet qu'on aura cru trop vu, trop établi. Jamais vraiment vu en fait, et
tellement mobile !
Mais si cet immense
va-et-vient fonctionne, c'est au prix d'une morale exigeante,
dé-temporalisée : James King, avec un orgueil sans fard, dénonce tout pacte.
Viril dans sa lutte pour et contre l'oeuvre à faire, il sait que celle-ci
n'a à mentir d'aucune façon : garder inachevé un portrait bien parti,
s'inspirer d'une photo pour peindre, négliger la stricte observation sur
nature, "autant rester à la maison pour tricoter !", dit-il.
Qu'on le croise
dans son atelier ou sur des cimaises, ce peintre volontaire a du temps : ses
brosses sont affûtées, et son huile d'oeillette n'atteindra sa maturité
qu'après être restée des semaines à cuire au soleil. Entre temps,
l'impatience du peintre à travailler aura tenu son inspiration sur le
qui-vive.
Frédéric AMBLARD |